Au sein de la communauté sportive, les entraîneurs font partie des personnes affectées de plein fouet par cette pandémie et le confinement, synonymes d’arrêt soudain des entraînements et de la saison de compétition pour un temps encore indéterminé. Pour les entraîneurs, les coûts émotionnels et financiers sont similaires à ceux des parents avec la déception supplémentaire de ne pas pouvoir exercer leur fonction qui représente pour nombre d’entre eux leur carrière, leur gagne-pain, leur identité professionnelle et leur passion.
Chaque entraîneur vit cette situation à sa façon selon ses aspirations, le niveau de ses athlètes et son niveau d’engagement. Mais l’ensemble des entraîneurs se demande probablement ce qu’il peut et doit faire pour soutenir ses athlètes durant les prochaines semaines.
Prenez d’abord soin de vous
- Identifiez vos propres émotions
Donnez-vous de l’espace pour reconnaître les sentiments qui vous habitent actuellement. Réfléchissez à ce qui vous affecte le plus comme entraîneur dans la situation présente, mais aussi comme personne. Quelles sont les conséquences de ces émotions? Sentez-vous que vous êtes nerveux, apathique, motivé, découragé? Est-ce que ces émotions affectent vos comportements?
- Reconnaître ce que vous ressentez
- Identifier vos différentes émotions
- Essayer de les comprendre
De plus, il est probable que vos émotions changent avec le temps à mesure que la situation évoluera. Laissez-vous donc le temps d’intégrer chaque nouvelle décision gouvernementale ou institutionnelle et les conséquences sur votre quotidien et votre métier.
- Confiez-vous et faites confiance à votre réseau
N’hésitez pas à verbaliser la façon dont vous vivez la situation. Contactez d’autres entraîneurs et partagez vos ressources (ex. programmes de préparation physique), vos questionnements, vos inquiétudes et votre frustration.
Faites appel à votre réseau d’intervenants : vous collaborez peut-être déjà avec des préparateurs physiques, des physiothérapeutes et des consultants certifiés en performance mentale. Ces personnes peuvent s’avérer un important soutien, non seulement pour les athlètes mais aussi pour vous, les entraîneurs. N’hésitez pas à faire appel à eux pour vous aider à maintenir un niveau d’activité physique qui sera d’une grande aide pour votre santé physique et mentale.
- Profitez de ce temps pour questionner votre pratique
Tout comme il est conseillé aux athlètes de se questionner sur leur expérience sportive et les autres facettes de leur personnalité (voir blogue Sportifs et athlètes confinés – Quand les émotions et l’incertitude prennent toute la place.), profitez de ce moment pour questionner votre expérience d’entraîneur :
- Pourquoi ai-je voulu devenir entraîneur(e)?
- Sur quelles connaissances je me base pour intervenir?
- Quelles sont les valeurs qui me sont chères? Quels sont les comportements que j’adopte en lien avec ces valeurs? Ai-je des comportements qui ne sont pas en adéquation avec mes valeurs?
- Suis-je un(e) bon(ne) entraîneur(e)?
- Quelles sont mes compétences? Mes points forts?
- Quels sont les objectifs que je poursuis en entraînant ces athlètes, cette équipe?
- Quel type d’entraîneur suis-je (démocratique, autocratique, etc.)? Quels sont les avantages et les inconvénients de mon approche?
- Quelles seraient les aspects de mon coaching que j’aurais à améliorer? Serait-ce un bon moment pour le faire ou pour m’informer, continuer à me former?
- Ai-je un équilibre entre ma vie personnelle et professionnelle? Serait-ce nécessaire d’y remédier?
Prenez soin de l’athlète, mais surtout de la personne
Outre la gestion de vos propres émotions, vous vous souciez probablement de la façon dont vos athlètes vont passer à travers les prochaines semaines. Au-delà de la panoplie d’émotions par lesquelles ces derniers peuvent passer, une des plus grandes inquiétudes des entraîneurs concerne principalement la motivation de leurs athlètes. À cet égard, plusieurs profils semblent se dessiner :
- Athlètes ayant de la difficulté à s’entraîner seuls, car leur motivation est fortement liée au sentiment d’appartenance avec leurs coéquipiers ou aux sensations induites par le sport qu’ils pratiquent ;
- Athlètes ressentant un vide et une perte importante en raison de leur incapacité à terminer leur saison ou à finaliser un cycle pluriannuel dans lequel ils se sont engagés ;
- Athlètes soulagés en raison de blessures, d’épuisement ou d’anxiété de performance.
Quel que soit l’état d’esprit de vos athlètes en ce moment, ce qui importe est de les comprendre individuellement et de considérer les besoins de chacun dans le but de leur fournir un soutien et des conseils appropriés. Naturellement, aucun comportement d’entraîneur n’est parfait et ne garantit le bien-être et la performance de ses athlètes. Mais les principes utilisés en psychologie du sport fournissent quelques pistes d’intervention pour favoriser la motivation intrinsèque, elle-même liée non seulement au bien-être mais aussi à la persévérance.
Selon la théorie intégrée des motivations en sport (Vallerand & Losier, 1999), l’autodétermination est un ingrédient clef de la persistance et des émotions positives. Et du bonheur et de la persévérance, on en a bien besoin ces temps-ci.
Le sentiment d’autodétermination d’un athlète sera favorisé par le fait de satisfaire ses besoins de compétence, d’autonomie et d’appartenance sociale.
Ces trois besoins psychologiques sont considérés comme les besoins psychologiques fondamentaux dont tout être humain a besoin pour être heureux, et ce, quel que soit son âge, sa culture, son expérience, son statut socio-culturel, etc.
Le sentiment de compétence renvoie au fait de se sentir efficace et d’expérimenter des opportunités d’exercer et d’exprimer ses capacités (Ryan & Deci, 2000)
Le besoin d’autonomie est défini comme l’origine perçue de son propre comportement en expérimentant ses propres choix et ses sentiments, se sentir l’initiateur de son action et de sa volonté (Deci & Ryan, 2000; Ryan & Deci, 2000).
Le sentiment d’appartenance sociale renvoie au fait d’avoir une affiliation sociale, à la fois avec autrui et avec sa communauté, de se sentir connecté à d’autres et de se soucier des autres en étant pris en charge par les autres (Ryan & Deci, 2000).
Sur la base de ces principes théoriques, quelques pistes d’intervention s’offrent aux entraîneurs:
Favorisez la réflexion et impliquez vos athlètes dans leur façon de gérer leur entraînement. De quelle manière ?
En aidant vos athlètes à réfléchir aux aspects de la performance qu’ils veulent et peuvent travailler en ce moment.
- Permettez-leur de s’approprier leur expérience. Ne partez pas du principe que vos athlètes vont se sentir mal alors que certains se sentent soulagés, bien, équilibrés et heureux de se retrouver. Soyez donc à leur écoute et soutenez-les tout en respectant leur façon de gérer la situation.
- Ne cherchez pas à remplir votre horaire et celui de vos athlètes. Pour certains, le niveau de motivation est très bas en ce moment et les faire s’entraîner ne les aide pas. Selon les objectifs de vos athlètes (et pas les vôtres 😉 ), identifiez si l’important en ce moment, est de maintenir un niveau d’activité physique minimal ou la poursuite d’objectifs.
Une semaine à la fois : on ne connaît pas la date de reprise des entraînements
- Tout en considérant les intérêts et les besoins de vos athlètes, aidez-les à instaurer un entraînement régulier pour maintenir leur santé physique et mentale. Plus particulièrement, encouragez une réflexion individuelle concernant les aspects de la performance (physiques, techniques, psychologiques, stratégiques et tactiques) qui peuvent être maintenus et/ou améliorés en ce moment et qui seront d’une grande utilité lorsque l’entraînement et les compétitions reprendront.
- Tout en étant une ressource pour vos athlètes, donnez-leur les clefs de leur routine en leur permettant de réfléchir à leurs propres objectifs. Par exemple, questionnez vos athlètes individuellement sur :
- Ce qui peut être maintenu dans les conditions actuelles (ex. concentration, puissance)
- Ce qui peut être développé ou amélioré dans les conditions actuelles (ex. souplesse des épaules, capacité d’imagerie mentale)
- Les objectifs hebdomadaires qui peuvent être poursuivis en fonction de ce qui a été déterminé aux points 1 et 2. Chaque semaine, demandez à vos athlètes de réfléchir à un objectif qui leur est propre et organisez avec eux de courtes séances.
Voir tableau en exemple ci-dessous.
Invitez vos athlètes à noter leur progression dans un journal leur permettant de prendre conscience de ce qui a été travaillé, maintenu et amélioré. Offrez-leur la possibilité de discuter avec vous plus ou moins régulièrement de leurs progrès pour assurer un suivi et réévaluer leurs objectifs au besoin. Il sera important que vous souligniez l’amélioration individuelle.
Rester connectés
- Restez en contact avec vos athlètes collectivement et individuellement autant que possible. Reconnaissez que vous occupez probablement une place importante et précieuse dans leur vie, faisant de vous l’une des rares personnes en qui ils ont confiance et avec laquelle ils pourraient exprimer leurs sentiments, leur insécurité, leurs inquiétudes et leur bien-être. Autant que possible, créez un espace au sein duquel ils se sentiront libres de partager ce qu’ils vivent. Écoutez-les et demandez-leur comment vous pouvez les aider. N’hésitez pas à solliciter les ressources auxquelles vous faites déjà appel (médecins, préparateurs physiques, consultants en performance mentale, etc.) pour gérer ensemble cette situation.
- Continuez à être une ressource en fonction des besoins de vos athlètes – Donnez un aperçu des options d’entraînement continu ; des suggestions d’entraînement à domicile via des programmes ou des applications en ligne crédibles ; des recettes saines à essayer ; ainsi que des opportunités de sortir et de bouger telles que la randonnée, la marche, la course ou le vélo. Vous pouvez également envisager des moyens créatifs pour eux de rester engagés dans leur sport, comme leur envoyer des questions-réponses spécifiques à rechercher liées à leur sport, des suggestions de lectures ou de podcast à écouter.
- Il est également important de reconnaître que les humains sont câblés et connectés. C’est pourquoi il est naturel de vouloir voir et être avec sa famille, ses amis, ses coéquipiers, ses voisins et les autres. Bien que nous soyons actuellement limités dans nos interactions en face à face, utilisez des moyens virtuels pour rester connectés comme les messages texte, les applications vidéos (FaceTime, Skype, Zoom, etc.), les médias sociaux ou d’autres types de technologie.
- Encouragez la communication entre les athlètes (échanges, travail d’équipe, rétroactions, etc.)
Profitez de cette situation de confinement pour trouver avec eux le juste équilibre entre des activités qui sauront les maintenir actifs physiquement et mentalement tout en leur laissant du temps pour se reposer, lire, passer du temps en famille, etc. Laissez-leur le temps et l’occasion de découvrir d’autres aspects de leur personne. Ils seront d’autant plus motivés à se consacrer à nouveau à leur sport.
Pour résumer, il n’y a pas de recette magique pour être un bon entraîneur en ce moment. Parmi les bonnes choses à faire, vous devez prendre soin de vous, vous faire confiance, être à l’écoute de vos athlètes et leur offrir votre soutien, le tout en respectant l’état d’esprit dans lequel ils se trouvent.
Élise Marsollier, PhD
Consultante en performance mentale
Chercheure en psychologie du sport
Sources :
Association pour la psychologie du sport appliquée : The COVID-19 Pandemic: Tips for Athletes, Coaches, Parents, and the Sport Community.
Vallerand, R. J., & Losier, G. F. (1999). An integrative analysis of intrinsic and extrinsic motivation in sport. Journal of applied sport psychology, 11(1), 142-169.