Pour résumer où nous en sommes dans notre réflexion, la présence de pathogènes active le système immunitaire comportemental (SIC) et entraîne une plus grande rigidité dans les normes sociales (hygiène, alimentation, sexualité) ainsi qu’une plus grande aversion pour ceux qui les brisent (Voir blogue 1 et 2). Alors, est-ce que le SIC aurait un rôle à jouer dans l’établissement et le maintien de préjugés envers certains groupes marginalisés ? La réponse est oui, puisque le SIC aurait un rôle prépondérant à jouer pour les préjugés à l’égard des personnes âgées, obèses, défigurées, handicapées, étrangères et homosexuelles (Aarøe & al., 2017; Ackerman & al., 2018; Fincher et al., 2008; Karinen & al., 2019; Kiss & al., 2020; Lai & al., 2014; Murray & al., 2013; Navarette & al., 2007; Terrizzi & al., 2013; Vartanian & al., 2016).
Préjugés
Le SIC interprèterait la différence de ces personnes comme étant des signes possibles de pathogènes (ou de non-respect des normes sociales), suscitant un sentiment d’aversion et donc un désir d’évitement (Ackerman & al., 2018; Schaller & al., 2011). Cependant, vous me diriez que l’ensemble de ces différences sont loin d’être synonyme de maladies et vous auriez raison. C’est pourquoi il s’agit de préjugés entendus comme intuition pré-raisonnement. Le SIC a évolué en partie pour nous éviter d’entrer en contact avec quelqu’un qui serait porteur d’une maladie transmissible. Il doit donc porter des jugements rapides sur des personnes qu’il ne connait pas afin de déterminer si nous pouvons ou non entrer en contact avec elles (Ackerman & al., 2018). En plus, il a une petite tendance vers l’évitement (Schaller & al., 2011). Il aime mieux se tromper et recommander l’évitement que de se tromper et de recommander des contacts entraînant la transmission d’une maladie potentiellement mortelle. Vous comprenez maintenant pourquoi il est une vraie machine à préjugés, mais aussi comment nous pouvons nous retrouver avec des communautés évitées, marginalisées ou systématiquement excluent. Mais dans ce contexte, est-ce que le SIC pourrait entraîner de la violence envers ces communautés ?
Le SIC, la violence et l’exclusion
Heureusement, il semble qu’il n’en soit rien. L’explication simple veut que la violence implique le fait d’entrer en contact avec l’autre alors que l’aversion pour l’autre activée par le SIC encourage plutôt l’évitement (Aarøe & al.,2017; Pond & al., 2012; Terrizzi & al., 2013). Alors l’activation du SIC serait liée à moins de violence verbale, moins de violence physique et moins de violence conjugale (Pond et al., 2012). Néanmoins, l’aversion pour l’autre générée par le SIC, une fois combinée au sentiment d’injustice ou de colère, pourrait engendrer une motivation pour l’agression (Terrizzi & al., 2013). Certains proposent même que le dégoût serait un sentiment déshumanisant, c’est-à dire, qu’il porte à voir les autres comme moins qu’humain (Kiss & al., 2020; Sherman & al., 2011). Il s’agit d’une proposition forte inquiétante et qui expliquerait pourquoi le sentiment de dégout pourrait entrainer de la violence ou le non-respect des droits de l’Homme. Toutefois, de manière générale, le SIC provoque plutôt de l’exclusion que de la violence.
Ce qui n’est pas à prendre à la légère lorsque l’on sait que l’exclusion sociale peut être aussi douloureuse que de la violence physique, activant toutes deux les mêmes circuits neuronaux (Eisenberg & al., 2003). Du côté évolutif, pendant des millions d’années notre survie dépendait en grande partie de notre capacité à être inclus plutôt qu’exclus. Il n’est donc pas surprenant que l’exclusion nous soit autant douloureuse comme il s’agissait d’une question de vie ou de mort (Leary, 2005). Nous sommes ainsi très sensibles à l’exclusion qui aurait un impact négatif sur quatre de nos besoins fondamentaux (contrôle, appartenance, estime de soi et reconnaissance) en plus d’engendrer de la tristesse, de la colère et une diminution du sentiment de bonheur (Sandstorm & al., 2017). Sans oublier que chez les enfants, l’exclusion augmente le risque d’être victime d’intimidation (Parent et D’amours, 2019). De surcroît, leur exclusion ferait en sorte que lorsqu’ils sont intimidés, ils reçoivent moins de soutien de leurs pairs. Ceci les rendrait ultimement plus enclins à s’attribuer la responsabilité de l’intimidation et augmenterait leur risque de développer des troubles anxieux et dépressifs (Garandeau & al., 2018; Sainio & al., 2011; Salmivalli, 2018).
Maintenant que nous savons que la COVID-19 pourrait favoriser l’augmentation de l’exclusion des communautés marginalisées et que l’exclusion est lourde de conséquences, une question cruciale s’impose : que pouvons-nous faire ? Ce sera le thème de notre prochain et dernier blogue sur le sujet. À suivre…
Alexandre Baril
Chargé du projet – À l’action! Agissons contre l’intimidation
Références
Aarøe, L., Petersen, M. B., & Arceneaux, K. (2017). The behavioral immune system shapes political intuitions: Why and how individual differences in disgust sensitivity underlie opposition to immigration. American Political Science Review, 111(2), 277-294.
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Eisenberger, N. I., Lieberman, M. D., & Williams, K. D. (2003). Does rejection hurt? An fMRI study of social exclusion. Science, 302(5643), 290-292.
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