De tristes nouvelles telles l’accusation récente pour des infractions d’ordre sexuel portée à l’endroit d’un athlète québécois de calibre international en gymnastique ont souvent l’effet d’une bombe dans le monde sportif, et avec raison. Cependant, souhaiter que de telles situations ne soient jamais dévoilées au grand jour serait encore plus dommage, puisque cette réalité est bien présente dans l’univers sportif québécois et des comportements abusifs comme ceux-ci doivent être dénoncés haut et fort. D’ailleurs, nous désirons saluer la bravoure des victimes qui ont eu le courage de demander de l’aide ainsi que la bienveillance de tous les intervenants qui les ont crues et qui n’ont pas cherché à protéger un individu malgré une feuille de route professionnelle impressionnante. Vraiment, BRAVO!!
Cela dit, ce type d’événement regrettable nous permet de discuter de sujets délicats – inconfortables pour certains – et de réfléchir aux mesures à mettre en place ainsi qu’aux attitudes à adopter afin d’agir en prévention. Nous vous présentons donc le premier blogue d’une série de trois, qui visent à faire l’état de la situation ; à mettre certains éléments en perspective ; et à discuter des mesures à instaurer afin de favoriser un environnement sportif sain et sécuritaire – exempt de violence sexuelle, plus particulièrement.
Un phénomène réel… et documenté
Février 2018, vous vous souviendrez peut-être de cette enquête qui avait fait les manchettes sur les ondes de Radio-Canada et de la CBC [1] – celle où l’on rapportait qu’au cours des 20 dernières années, 340 entraîneurs du sport amateur avaient été accusés d’un délit sexuel au Canada. Cette enquête mettait en lumière que de ces 340 entraîneurs accusés, 222 avaient été condamnés alors que l’on dénombrait un total de 603 victimes mineures. Il est à noter que ces statistiques concernent seulement les victimes connues : on estime que le taux de dénonciation s’élève généralement à un faible 5 % [2]. De plus, il est nécessaire de rappeler qu’aucun sport n’était épargné. Ensuite, quelques mois plus tard, une étude menée par la chercheuse québécoise Sylvie Parent de l’Université Laval, une sommité internationale dans le domaine de la violence dans le monde du sport, mettait en relief l’état de la situation au Québec en ce qui concerne la violence sexuelle dans le sport [3].
Ainsi, parmi 1055 jeunes athlètes âgés de 14 à 17 ans ayant participé à cette étude, 297 avaient rapporté avoir vécu au moins un épisode de violence sexuelle au cours des 12 derniers mois, ce qui équivaut à près de 29 % des participants à l’étude. Cette réalité était aussi présente chez les garçons (N = 74) que chez les filles (N = 223). Il s’agit d’une particularité importante à reconnaître, puisque dans la population en générale, nous retrouvons de toutes autres statistiques. De fait, ce sont les femmes qui sont majoritairement les victimes d’infractions sexuelles, à 84 %[4].
Un autre aspect nécessite une attention particulière, car il engendre souvent confusion et/ou inattention : violence sexuelle n’équivaut pas à abus sexuel. En fait, dans le spectre de la violence sexuelle, on y retrouve un continuum de gestes qui s’élève en gravité. Reprenons l’étude de Parent (2018) où l’on constate que 29 % des jeunes athlètes interrogés ont été victime d’au moins un épisode de violence sexuelle au cours des 12 derniers mois. Ici, il peut y avoir des gestes qui passent du harcèlement (c.-à-d. comportements à caractère sexuels tels que des paroles ou des gestes qui sont répétés dans le temps et qui ont des conséquences négatives chez les victimes) jusqu’aux gestes qui se rapportent à un abus avec contact physique (c.-à-d. rapport sexuel avec pénétration sans consentement, tentative de rapport sexuel avec pénétration sans consentement ou attouchements/contacts sexuels sans consentement). Conscients de cette information, nous pouvons mieux comprendre les statistiques évoquées par les différentes études et enquêtes menées.
En ce sens, discuter de telles statistiques aident à contrer des mythes tels que celui-ci : « les statistiques sont beaucoup trop élevées, c’est certain qu’il y a de fausses accusations là-dedans ». À ce sujet, l’Institut National de Santé Publique du Québec [5] a révélé, il y a quelques années, que sur près de 7 700 signalements de mauvais traitement investigués dans les centres de protection de l’enfance au Canada, seulement 35 % de ceux-ci s’avéraient non fondés. De plus, de ce 35 %, seulement 6 % ont été jugés comme de fausses allégations ayant été fabriquées intentionnellement en ce qui concerne les cas d’agressions sexuelles. Ce n’est pas tout : de ce 6 %, aucune ne provenait de mineurs. Il s’agit donc d’une preuve qui appuie de manière importante ce discours que nous devons adopter : nous devons croire les victimes et leur offrir notre aide – ce n’est pas à nous de juger de la validité de leur témoignage.
En terminant, il est nécessaire de relativiser l’état de la situation en mentionnant une dernière statistique issue de l’étude de Parent (2018). Ce ne sont pas seulement les entraîneurs qui sont auteurs de violence sexuelle et c’est pourquoi il ne faut pas s’adonner à une chasse aux sorcières et commencer à soupçonner tout individu qui s’implique auprès des jeunes. Ainsi, selon les résultats de l’étude, près de 60 % des jeunes disent avoir été victime d’un autre athlète, alors que 20 % concernait les entraîneurs. Alors, contrairement à ce que nous rapportent les médias, soit principalement des cas d’entraîneurs, il importe de ne pas généraliser pour ne pas associer cette problématique seulement à ces derniers.
Rappelons-nous que nous comptons sur près de 100 000 entraîneurs au Québec qui, pour la très grande majorité, accomplissent un travail exceptionnel. C’est donc notre devoir d’être vigilants des comportements de tous les acteurs du monde sportif. En ce sens, nous sommes privilégiés au Québec puisque cette situation est prise au sérieux par les décideurs et les différents partenaires, incluant le gouvernement québécois (l’actuel et l’ancien) qui priorisent tous cet enjeu. À cet égard, il importe de dire que la communauté sportive québécoise est mobilisée et que de précieuses ressources sont d’ailleurs à la disposition des différentes parties prenantes (jeunes sportifs, parents, entraîneurs, administrateurs, officiels, bénévoles, etc.), notamment la plateforme SportBienÊtre.ca et l’organisme Sport’Aide.
Cette mobilisation qui fait l’envie à l’extérieur du Québec, nous la devons à tous les partenaires (Sports Québec, les fédérations sportives québécoises, les Unités régionales de loisirs et de sports, l’Institut national du sport du Québec, le Réseau du sport étudiant du Québec, l’Association québécoise du loisir municipal, etc.) qui collaborent pour un environnement sportif sain et sécuritaire, exempt de violence psychologique, émotionnelle, physique et sexuelle. Ce pourquoi il faut continuer à dénoncer haut et fort les comportements abusifs et supporter les victimes. Il ne faut plus tourner la tête. C’est notre responsabilité à tous.
J.T.
[1] Radio-Canada. (2018, 10 février). 340 entraîneurs accusés de délits sexuels au Canada en 20 ans, plus de 600 victimes. https://ici.radio-canada.ca/sports/1151877/enquete-entraineurs-canada-accusations-delits-sexuels-athletes-mineurs
[2] Secrétariat à la condition féminine du Québec. (2014). Violence sexuelle – quelques statistiques. http://www.scf.gouv.qc.ca/violences/agressions-sexuelles/quelques-statistiques/
[3] Parent, S., Vaillancourt-Morel, M-P., & Corneau, M. (2018). Capsule infographique #5 : La violence sexuelle en contexte sportif. Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS), Université de Montréal, Montréal, Québec.
[4] Secrétariat à la condition féminine du Québec. (2014). Violence sexuelle – quelques statistiques. http://www.scf.gouv.qc.ca/violences/agressions-sexuelles/quelques-statistiques/
[5] Cyr, M. et Bruneau, G. (2007). L’évaluation des fausses allégations d’agression sexuelle chez l’enfant. Dans M. St-Yves et M. Tanguay (dir.), Psychologie de l’enquête criminelle: La recherche de la vérité (pp. 221-254). Cowansville, QC: Éditions Yvon Blais. (Consulté sur le site de l’Institut National de Santé Publique du Québec, 2020).
(…) il faut continuer à dénoncer haut et fort les comportements abusifs et supporter les victimes. Il ne faut plus tourner la tête. C’est notre responsabilité à tous.