Dans le cadre de la semaine Le poids ? Sans commentaire!, qui se déroule du 23 au 29 novembre 2020, Sport’Aide a collaboré sur plusieurs projets avec l’organisme ÉquiLibre afin de pouvoir mieux prévenir et contrer l’intimidation à l’égard du poids et de l’apparence. La présente série de trois blogues portant sur ce sujet s’inscrit dans cette lignée et aura pour but d’expliquer le phénomène et de dégager des pistes d’action pour s’attaquer à cette problématique.
Jusqu’à quel point l’intimidation à l’égard du poids et de l’apparence est une problématique présente dans nos milieux? Je pense que la réponse est tellement évidente que la question est quasiment absurde. Tout le monde sait qu’il y en a beaucoup. Une étude américaine montrait que la première raison pour laquelle les jeunes étaient intimidés soit en raison de leur poids suivie de près par leur orientation sexuelle et de genre (Puhl & al., 2011). Quant à l’étude qui suit, une deuxième du même auteur montrait que 64 % des adolescents de 14-18 ans rapportaient avoir été victimisé sur leur poids (Puhl & al., 2013). Malheureusement, tout ceci n’est guère surprenant, mais pourquoi est-ce ainsi?
Ça fait mal
L’une des raisons principales expliquant ce phénomène, c’est que ça fait mal de se faire intimider sur son poids ou son apparence. Si l’on veut blesser quelqu’un, on l’attaquera sur un point sensible sachant que l’on aura de l’effet. Considérant que 55 % des adolescents sont insatisfaits de leur apparence (Traoré & al., 2018), l’auteur d’intimidation est presque assuré d’atteindre sa cible. Pour reprendre l’expression, « il n’a qu’à tourner le couteau dans la plaie ». C’est d’ailleurs une situation que j’ai moi-même expérimentée dans le rôle de l’intimidateur. Quand j’étais en 2e année, un de mes pairs ne cessait pas de m’agacer. Je ne me rappelle pas à quel sujet, mais je me souviens que j’étais exaspéré. Je me suis donc fâché et je l’ai donc traité de « gros plein de soupe » et il a fondu en larmes. Ce souvenir personnel illustre que, même en bas âge, je savais déjà – malgré que sa situation ne me dérangeait pas du tout – qu’il s’agissait d’un bouton sur lequel il était facile d’appuyer pour blesser quelqu’un.
Dynamique de groupe
C’est d’ailleurs, ce que les auteurs d’intimidation recherchent. Ils ne vont pas intimider n’importe qui à n’importe quel sujet. Ils recherchent des personnes plus vulnérables (Parent & al., 2019). En intimidant une personne sur son poids ou son apparence, ils s’assurent de réussir leur attaque alors que leur cible s’en trouvera tellement affectée qu’elle aura une grande difficulté à se défendre. On peut même penser que certaines victimes vont s’attribuer la faute de l’intimidation. « Il a raison, c’est vrai que je suis trop gros… » Mais ce n’est pas tout, les témoins ayant le même bouton sensible ne prendront pas la défense de la victime de peur que la situation se retourne contre eux (Juvonen & al., 2008). Leur silence approbateur contribue encore plus à ancrer dans la tête de la victime que c’est de sa faute si elle vit de l’intimidation (Salmivalli, 2014). Elle se dit que si personne n’intervient c’est probablement parce qu’ils sont tous d’accord avec l’auteur d’intimidation. Le pire c’est qu’elle n’est pas la seule à penser ainsi. Alors que les témoins sont généralement en désaccord avec l’intimidation (Caravita & al., 2009), tout le monde se regarde et se demande s’ils doivent intervenir. Le silence des autres les amène à penser que c’est une valeur du groupe et que dans notre groupe, il ne faut pas avoir un corps « hors-norme ». Ceci a pour effet d’encourager l’inaction des témoins et la répétition des attaques sur le poids et donc de normaliser la grossophobie (Juvonen & al., 2008). L’intimidateur acquiert donc beaucoup de pouvoir étant donné que le groupe lui attribue un rôle de leader lui assurant ainsi ce qu’il souhaite, un statut dans le groupe. Malheureusement, les auteurs d’intimidation ont tendance à considérer : « […] l’usage de la force comme un moyen légitime, efficace et nécessaire pour établir son statut […] » (Galand & al., 2015, p.60)
Un surnom affectueux
« Bouboule, c’est juste un surnom affectueux. » Inutile de dire qu’il faut faire attention avec ce type de surnoms. Souvent, les gens diront que ce n’est pas méchant ; que c’est juste un surnom comme ça ; et que même Bouboule trouve ça drôle ou qu’il ne s’en plaint pas. Mais on ne réalise pas que la victime de tels sobriquets cache probablement ce qu’elle ressent vraiment avec le rire ou l’indifférence. La personne ne veut pas nécessairement mettre son pied à terre et s’imposer craignant de jouer le trouble-fête. Se demandant même si ça va changer quelque chose de s’affirmer, voire même que les gens l’aimeront peut-être moins à cause de ça. En plus, elle se dit qu’ils ont peut-être raison. « Je suis bouboule ». Toute cette réflexion se passe à huis clos dans la tête de la personne et peut faire en sorte qu’elle ne parle pas et accepte les taquineries sans broncher. Ces taquineries sont une représentation du même mécanisme de normalisation négatif que l’intimidation et finissent par stigmatiser les personnes avec des corps sortant de la norme et encourager les moqueries à leur égard… et même augmenter les risques d’intimidation (Juvonen & al., 2008).
Dans tous les cas, il est important de comprendre que l’intimidation est un phénomène de groupe qui a rapport au fait de normaliser des comportements négatifs. C’est le groupe qui va permettre ou non à l’intimidateur de maintenir ses comportements. En ce sens, alors que le groupe fait partie de la problématique, il peut aussi faire partie de la solution comme on pourra le voir dans le troisième blogue sur le sujet. Au-delà du groupe, d’autres facteurs peuvent contribuer à augmenter le risque d’intimidation. Dans le sport, nous avons le culte de la performance et le mythe du corps idéal qui peuvent être drôlement malsains.
Restez à l’affut de notre prochain blogue qui abordera d’ailleurs ces sujets sensibles.
Alexandre Baril
Chargé du projet À l’action ! Agissons contre l’intimidation
En collaboration avec
Karah Stanworth-Belleville
Cheffe de projet chez ÉquiLibre
Références
Caravita, S. C. S., Di Blasio, P., & Salmivalli, C. (2009). Unique and Interactive Effects of Empathy and Social Status on Involvement in Bullying. Social Development, 18(1), 140-163. doi : 10.1111/j.1467-9507.2008.00465.x
Galand, B. et Baudoin, N. (2015). Qu’est-ce qui anime les auteurs de harcèlement : Pouvoir, déviance, détresse, protection ou compensation? Dans C. Beaumont, B. Galand et S. Lucia (dir.), Les violences en milieu scolaire ; définir, prévenir et réagir… (p. 49-67). Québec, Les Presses de l’Université Laval : Collection de la Chaire.
Juvonen, J., & Galván, A. (2008). Peer influence in involuntary social groups: Lessons from research on bullying. In M. J. Prinstein & K. A. Dodge (Eds.), Duke series in child development and public policy. Understanding peer influence in children and adolescents (pp. 225-244). New York, NY, US: Guilford Press.
Parent, S. et D’Amours, C. (2019). Intimidation en contexte sportif. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/intimidation/jeunes/intimidation-en-contexte-sportif.
Puhl, R. M., Luedicke, J., & Heuer, C. (2011). Weight‐based victimization toward overweight adolescents: observations and reactions of peers. Journal of School Health, 81(11), 696-703.
Puhl, R. M., Peterson, J. L., & Luedicke, J. (2013). Weight-based victimization: Bullying experiences of weight loss treatment–seeking youth. Pediatrics, 131(1), e1-e9.
Salmivalli, C. (2014). Participant roles in bullying: How can peer bystanders be utilized in interventions?. Theory Into Practice, 53(4), 286-292.
TRAORÉ, I. & al., (2018). Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017. Résultats de la deuxième édition. La santé physique et les habitudes de vie des jeunes. Repéré à www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/sante/enfants-ados/alimentation/sante-jeunes-secondaire-2016-2017-t3.pdf