Lors du premier blogue de cette triade, il était question de faire l’état de la situation en ce qui concerne la violence sexuelle en contexte sportif et de remettre certains éléments en perspective. L’objectif de ce présent blogue réside dans le partage de la compréhension d’un tel phénomène afin que tous les acteurs qui évoluent dans le monde sportif puissent agir à titre préventif. Précisément, il s’agit aujourd’hui de discuter du processus de grooming des abuseurs et de leurs stratégies de manipulation. Un processus qui en lui-même correspond à la définition que nous faisions initialement de la violence sexuelle, laquelle ne se résume pas, rappelons-le, à une agression, mais bien à un continuum de gestes s’élevant en gravité.

Parlons-en!

Avant d’aller plus loin, il importe ici de dire que nous étions réticents à discuter du grooming et des stratégies de manipulation des abuseurs, puisque certains pourraient penser que d’en parler pourrait avoir l’effet inverse et donner des idées aux individus mal intentionnés. Cependant, comme ceux-ci trouveront quand-même le moyen de poser des gestes regrettables, nous avons choisi de vous partager ces informations en nous disant que nous allions ainsi sensibiliser et aider le grand public à mieux comprendre le vécu des victimes (c.-à-d. contrer la réaction fréquente du « pourquoi il/elle s’est laissé.e faire? ».  Qui plus est, nous pensons aussi que d’en parler ouvertement permettra d’aider les adultes et les jeunes athlètes à pouvoir dépister les comportements inadéquats et problématiques et à reconnaître les indices menant à de la violence sexuelle plus rapidement.

Donc, allons-y. Qu’est-ce que le grooming ? Malgré l’absence de consensus pour  définir ce phénomène, des éléments communs ressortent des définitions suggérées : (a) établir un lien de confiance avec l’enfant [1] et (b) le fait que l’enfant garde le secret et ne divulgue pas l’agression [2]. Ainsi, on peut donc en conclure que le grooming est le processus à partir duquel l’abuseur manipule l’enfant en établissant un lien de confiance avec celui-ci et les adultes qui l’entourent dans le but de faciliter l’abus et de maintenir le secret de la victime au fil du temps. D’ailleurs, le grooming peut se produire en ligne (p. ex. cellulaire, internet) [3] ou en personne. Lorsqu’il se produit en ligne, l’abuseur désire se procurer, par exemple, des images intimes pour, ultimement, obtenir des contacts sexuels [4]. Lorsque le grooming se réalise en personne, l’agresseur peut parfois user de violence, de menaces ou de force (c.-à-d. type agressif). Il peut également agir spontanément sur une victime inconnue ou, encore, établir ladite relation de confiance avec la victime connue dans le but de commettre l’agression et réduire le risque de divulgation – cette dernière stratégie s’avérant la plus fréquente.

Cela dit, quelles sont les étapes concrètes du grooming ? Souvent, ces derniers vont sélectionner leur victime (p. ex. avoir des préférences, avoir une bonne relation avec la victime) afin d’établir des conditions, voire des circonstances propices à une éventuelle agression. Ensuite, comme mentionné à plusieurs reprises, ils vont créer un lien de confiance avec leur victime et cette étape est souvent très longue : elle passe d’un lien d’amitié à une relation exclusive en augmentant progressivement l’intimité (p. ex. offrir des privilèges, des biens matériels, des services aux proches, davantage d’attention, d’affection et/ou de favoritisme). Une fois la confiance établie, les stratégies font alors surface : le voyeurisme, proposer d’aider à habiller la victime, se présenter dans le vestiaire ou dans les douches, parler de sexualité. Il arrive que les premiers contacts soient établis par des attouchements aux parties génitales en prétendant que c’est un « accident ». Enfin, l’agresseur tentera de faire taire sa victime par divers moyens : l’isolement, les promesses, la culpabilité, les menaces (p. ex. si tu parles, pense à ton temps de jeu, à ta place dans l’équipe ou dis au revoir à ton rêve), les blâmes et la honte… allant même jusqu’à convaincre la victime qu’elle avait consenti ou que « de toute façon les gens ne te croiront pas », etc.

Difficile de dénoncer son agresseur

En une douzaine de lignes, nous venons de résumer, en général, le processus menant à de la violence sexuelle de la part d’une personne en position d’autorité (p. ex. entraîneur, administrateurs, thérapeute). Pour être honnête avec vous, c’est presque insultant de discuter de ce processus en si peu de mots. Notre intention est donc de vous mettre la puce à l’oreille, afin que vous vous fassiez une meilleure idée de ce à quoi les victimes sont tristement exposées. Pour ce faire, nous vous invitons à lire, et relire ce dernier paragraphe afin que vous puissiez mieux vous imaginer l’enfer que subissent les victimes à travers ce processus. Pourquoi ? Pour contrer ce que l’on entend malheureusement trop souvent :

  • « Pourquoi il/elle s’est laissé.e faire? »
  • « Ben voyons, ça s’est passé il y a 10 ans… si c’était vrai, il aurait parlé avant! »
  • « Bon, il/elle sort ça aujourd’hui, ça doit être une question de vengeance… »
  • « C’était écrit dans le ciel que cet homme-là/que cette femme-là était louche! »

Et j’en passe.

Bref, il est primordial de réaliser que les victimes ne choisissent pas de se faire manipuler. De plus, dans le monde du sport, il importe de rappeler que les entraîneurs occupent une position de choix auprès de nos jeunes sportifs alors qu’ils représentent un modèle à suivre pour ceux-ci.  Selon une étude qui a été menée par le Réseau de la Santé Sexuelle du Québec (RSSQ), 94 % des jeunes sportifs québécois admettent qu’en général, ils veulent faire ce que leur entraîneur pense qu’ils devraient faire. Afin de vous illustrer ce résultat, on peut comparer un 56 % obtenu pour la même question en fonction du père, 52 % en fonction de la mère, 64 % en fonction des professeurs et 43 % en fonction des amis. Ainsi, en présence d’un entraîneur au palmarès reluisant, il peut être extrêmement difficile et pénible pour la victime de reconnaître, mais aussi de dénoncer son agresseur qui fait usage de manipulation et de grooming.

Naturellement, il ne faut pas conclure que tout jeune sportif tombera inévitablement dans le piège d’une personne en position d’autorité usant de ces stratégies de grooming. Certaines personnes sont plus « fragiles » que d’autres et c’est exactement ce que les abuseurs recherchent. En ce sens, au cours du prochain blogue, nous allons discuter des facteurs de risque qui vont prédisposer certaines personnes à être victimes d’actes de violence sexuelle (p. ex. facteurs de risque individuels, sociaux, environnementaux). Enfin, nous écrirons également quelques lignes – à titre préventif – afin que notre communauté sportive continue d’aspirer et de favoriser des environnements sportifs exempts de toutes formes de violence sexuelle.

P.S. Pour ajouter à cette lecture et compléter la réflexion, nous vous invitons à voir – ou revoir – l’entrevue qu’accordait Geneviève Simard [5] il y a quelques années ainsi que le documentaire Athlete A qui se trouve sur Netflix. Ces documentaires, basés sur des faits réels, permettent de bien comprendre le processus de grooming.

J.T.

[1] Berson, 2003 ; Craven et al., 2006 ; Gillespie, 2002 ; Salter, 1995

[2] Berson, 2003 ; Craven et al., 2006 ; Gillespie, 2002 ; Knoll, 2010

[3] Wolak et Finkelhor, 2013

[4] Whittle, Hamilton-Giachristsis et Beech, 2015

[5] https://www.youtube.com/watch?v=fr7Km060Dww